Ronsard à Bar-le-Duc
Pierre de Ronsard, Mascarade de Bar-le-Duc ( 1564)
LES QUATRE ELEMENTS parlent au Roy
La Terre
Je t’ay donné Charles Roy des François,
Non pas un fleuve, une ville ou un bois,
Mais en t’ouvrant ma richesse féconde,
De tous les biens que j’avais espargné
Depuis mille ans, je t’ay accompagné
Pour estre fait le plus grand Roy du monde.
La Mer
Autant que j’ay d’écumes et des flots
Lorsque les vents cheminent sur mon dos
Et que le Ciel à Neptune fait guerre,
Autant de force et d’honneur j’ai donné
A ce grand Prince heureusement bien-né,
Pour estre Roy le plus grand de la Terre.
L’Air
Je nourris tout, toutes choses j’embrasse,
Et ma vertu par toute chose passe ;
Je contrains tout, je tiens tout en mes mains :
Et tout ainsi que de tout je suis maistre,
Pour commander au monde j’ay fait naistre
Ce jeune Roy le plus grand des humains.
Le Feu
Ce que j’avois de clair et de gentil,
De prompt, de vif, de parfait, de subtil,
Je l’ay donné à Charles Roy de France,
Pour illustrer son sceptre tout ainsi
Qu’on voit le Ciel de mes feux éclairci
Et que Dieu mesme a de moy son essence.
LES QUATRE PLANETES répondent :
Le Soleil
Ce n’est pas toi, Terre, qui ce grand Roy
As tant rempli de puissance, c’est moy
De qui l’aspect aux Rois donne la vie,
Et peut leur sceptre en gloire maintenir :
Donc si tu veux ton dire soutenir,
Viens au combat, ici je te défie.
Mercure
Je donne aux Rois l’advis et la prudence,
Et le conseil qui passe la puissance,
Comme j’ay fait à Charles ce grand Roy
Pour gouverner la terre universelle :
Et si la mer veut dire que c’est elle,
Je dis que non, soutenant que c’est moy.
Saturne
Je fais longtemps les Royaumes durer,
Et les grands Rois longuement prospérer,
Quand d’un bon œil j’éclaire à leur naissance,
Comme à ce Roy que j’ay fait de ma main,
Et non pas l’air, mol, variable et vain :
S’il le soutient, qu’il se mette en défense.
Mars
Je fais les Rois valeureux et guerriers,
Et sur leur front je plante les Lauriers,
Quand en naissant mon flambeau leur esclaire :
Le Feu n’a fait un Prince si gentil :
Car le Feu est de nature infertil,
Et s’il le dit, je soutiens le contraire.
LE JUGEMENT DE JUPITER
Appaisez-vous, ne jouez plus des mains,
Vous Eléments, et vous quatre Planètes,
Qui sous mon sceptre, aussi humbles vous êtes
Que dessous vous sont humbles les humains.
J’ay, non pas vous, par mes propres desseins
Mis en ce Roy tant de vertus parfaites
Pour gouverner les terres que j’ay faites :
Car du grand Dieu les œuvres ne sont vains.
Et bien qu’il soit encore jeune d’âge,
Dès maintenant je veux faire un partage
Avecques luy de ce monde divers :
J’auray pour moi les cieux et le tonnerre,
Et pour sa part ce Prince aura la Terre :
Ainsi nous deux aurons tout l’Univers.